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Le Journal du Dimanche: Obama à la conquête de l'islam

English Translation Jeudi au Caire, Barack Obama doit prononcer un discours historique sur les relations avec le monde musulman. Aucun homme d'Etat occidental n'est plus proche, intimement, de cette religion. "Personne d'autre que lui à son niveau ne dispose d'un tel sens de la nuance pour savoir que l'islam est une mosaïque", résume ainsi Ahmed Rehab, le directeur du Conseil des relations islamo-américaines.

Obama le musulman! C'était une rumeur inventée pour faire peur à l'Amérique frileuse, pendant la campagne, quand circulait sur le Web une photo d'un Barack enturbanné, et quand Hillary Clinton, interrogée sur la foi islamique de son rival, répondait, perfidement, "pas que je sache". La campagne d'insinuations était telle que lors d'un meeting dans le Michigan, des organisateurs zélés avaient chassé du champ des caméras deux jeunes sympathisantes en hidjab! Obama, fidèle de l'église du terrible pasteur Wright de Chicago, n'était pas musulman! "Personne chez nous n'en a voulu à Obama de prendre ses distances par rapport aux musulmans pendant la campagne, nous comprenions que cela pouvait être un handicap pour lui, dit Ahmed Rehab, le directeur du Conseil des relations islamo-américaines. Cela n'a pas empêché 95% des 7 millions de musulmans américains de voter pour lui."

Rehab est né en Egypte... et cette semaine, son président va aller chez lui! Jeudi, Barack Obama prononcera au Caire un discours attendu comme historique, une adresse de l'Amérique nouvelle au monde musulman. Ahmed Rehab déborde de fierté. Il n'a pas le moindre doute, Obama sera le grand réconciliateur de l'islam et de l'Amérique: "Personne d'autre que lui à son niveau ne dispose d'un tel sens de la nuance pour savoir que l'islam est une mosaïque."

Son grand-père devenu le musulman Hussein Obama

Effectivement, Obama est le seul. Qui d'autre, au sein de l'élite politique américaine a vécu enfant l'appel du muezzin à la prière du soir, dans les faubourgs de Jakarta? Qui a partagé pendant deux ans la vie quotidienne de petits musulmans de son âge dans une école publique indonésienne où les études coraniques étaient obligatoires ? Dans son autobiographie, Obama raconte qu'à force de "faire des grimaces" en cours de religion, le professeur avait appelé sa mère pour s'en plaindre. Ann Dunham, mariée en deuxièmes noces à un ingénieur indonésien, avait sermonné son fils en lui demandant de montrer "des signes de respect" pour la foi des autres.

A Hawaii, où le jeune Barack a vécu adolescent, le Coran, la Bible et des ouvrages sur le bouddhisme faisaient bon ménage sur les étagères du salon. A l'université, il a cohabité quelques semestres avec des étudiants pakistanais devenus ses amis. L'un d'eux, Wahid Hamid, aujourd'hui vice-président de Pepsi Cola pour la région de New York, l'avait hébergé pendant trois semaines à Karachi au début des années 1980. Jeune élu, Obama était devenu l'ami de Rachid Khalidi, un intellectuel et universitaire palestinien très proche de l'OLP. Les deux hommes se voient moins depuis quelques années mais leurs conversations sur la paix au Proche-Orient ont forcément influencé Obama.

Partout où l'on s'arrête, on trouve chez ce président une trace de l'islam, parfois jusqu'à l'intime. En 1986, pour sa première visite au Kenya, il s'était fait raconter par sa grand-mère la longue histoire de sa famille. Son grand-père Onyango était devenu le musulman Hussein Obama, converti à l'islam parce qu'il jugeait "trop mou et pas assez viril" le christianisme hérité des colons britanniques! Au Kenya, Barack découvrit ses oncles Sayed et Yussef et son demi-frère Roy, lui aussi devenu musulman pour lutter contre l'alcool et la drogue . Et il alla pleurer, "longuement", sur la tombe de son père, enterré selon le rite islamique. Pour Barack, la foi pouvait aider à affronter ces obstacles identitaires: "Pas une foi nouvelle, blanche ou noire, chrétienne ou musulmane, mais une foi en l'autre."

L'Amérique "n'est pas en guerre avec l'islam"

Ainsi s'est formé Obama, chrétien et humaniste, mais marqué à jamais par des fidèles musulmans faisant leurs ablutions avant d'aller prier dans une mosquée à ciel ouvert de Nairobi. Avoir foi en l'autre et le respecter? Ce respect est devenu une philosophie politique du président. Dalia Mogahed en est convaincue. Cette jeune Américaine d'origine égyptienne est l'une des deux premières personnalités musulmanes à faire partie du Comité consultatif interreligieux de la Maison-Blanche.

Dotée d'un MBA de l'université de Pittsburgh, elle dirige aujourd'hui à l'institut de sondages Gallup le centre d'enquêtes sur l'islam. "L'anti-américanisme des musulmans est généré par trois facteurs, explique-t-elle au JDD. La perception de ne pas être respecté dans sa foi, la colère de voir des conflits, dont l'Amérique est partie prenante, non résolus et, enfin, l'intuition selon laquelle les Etats-Unis abusent de leur puissance pour imposer leurs concepts de la démocratie au reste du monde." Voilà pourquoi, selon Mogahed, le président américain devrait mettre l'accent dans son discours du Caire "sur cette notion centrale de respect".

Jeudi prochain, Obama prendra la parole sur ce campus de l'université du Caire, qui a formé des êtres aussi différents que le Prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, Yasser Arafat ou le lieutenant de Ben Laden, Al Zawahiri. Dalia Mogahed sera aux premières loges: la plupart des médias égyptiens et arabes veulent entendre les commentaires de la "musulmane" de la Maison-Blanche. Barack Obama redira, comme il l'avait martelé devant le Parlement d'Ankara en avril, que l'Amérique "n'est pas en guerre avec l'islam". Il dénoncera "l'arrogance" passée de l'Amérique. Il parlera de la Palestine...

Il cherchera surtout un langage commun avec ses auditeurs musulmans."Le respect chez Obama est indissociable de la justice, et la justice est considérée comme l'une des valeurs premières de l'islam", affirme Jon Alterman, un ancien de la Commission Baker sur l'Irak devenu directeur des recherches sur le Proche-Orient au CSIS (Centre d'études internationales et stratégiques). Raison pour laquelle Obama insistera au Caire sur le devoir de justice. Les Etats-Unis défendront la justice, non seulement dans les conflits israélo-arabes, mais aussi à l'intérieur des pays musulmans, aux côtés des populations en quête d'égalité politique ou économique. L'Amérique offrant la liberté aux masses musulmanes? Le pari ne manque pas d'audace. "Si le président parvient seulement à désamorcer la haine violente qu'expriment des millions de musulmans à l'égard de l'Amérique pour la transformer en une simple grogne contestataire, ce sera déjà une grande victoire", relativise Alterman.

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